Sufjan Stevens – Carrie & Lowell

Sufjan_Carrie

Ne tournons pas autour du pot: Sufjan Stevens est un génie. Depuis maintenant 15 ans, le singer-songwriter de Detroit nous gâte des sorties musicales plus ou moins mémorables: on se souvient de ses chefs-d’oeuvre comme Michigan en 2003 ou encore Illinois 2 ans plus tard. Véritable touche-à-tout, il s’essayait à divers styles musicaux comme la folk, la pop baroque, l’électro sur The Age of Adz en 2010 ou même le hip-hop avec son side-project Sisyphus l’an dernier (qui comprend également le musicien Son Lux et le rappeur Serengeti), c’est dire tout le talent de l’homme. Mais cette année, il décide de ranger toutes bricoles sonores, synthétiseurs et autres expérimentations foutraques au placard pour un véritable retour aux sources avec son septième album Carrie & Lowell avec un thème bien poignant.

En effet, il s’agit de là du disque le plus bouleversant et le plus introspectif de Sufjan Stevens car il aborde le thème du deuil avec sa mère décédée en 2012 d’un cancer de l’estomac. De son vrai prénom Carrie, elle fut selon les dires de l’artiste, alcoolique, maniaco-dépressive et schizophrène et l’aurait abandonné dès l’âge d’un an. Lorsqu’il avait cinq ans, elle se serait mariée à Lowell, son beau-père qui est aujourd’hui à la tête du label Asthmatic Kitty Records, label sur lequel est signé Sufjan Stevens. Ce fut durant cette période qu’ils auraient partagé beaucoup de moments ensemble. C’est là que le thème central de Carrie & Lowell prend tout son sens: non seulement le musicien narre avec précision les étapes du deuil (du déni à l’acceptation) qu’il a pu faire mais en plus de cela, il fut plongé dans les mêmes dérives que sa défunte mère afin de se sentir proche de son état d’esprit (alcool, drogue, dépression…). Il en résulte un disque extrêmement bouleversant et sensible, composé et enregistré dans son chez-lui à Brooklyn.

A l’écoute de ce Carrie & Lowell, nous voilà plongé au cœur de l’intimité de Sufjan Stevens, comme si l’on se remémorait avec lui ses souvenirs personnels. Dès le sublime titre d’ouverture « Death With Dignity », il les contemple et clame: « I forgive you, mother, I can hear you/And I long to be near you ». Tout au long, il ne ressent pourtant aucune rancœur, aucune douleur et aucune colère lorsqu’il se remémore son passé quasi-brisé, juste de la douce nostalgie (morceaux choisis avec « Eugene » qui fut une librairie où travaillait Lowell et avec « Should Have Known Better » avec cette phrase marquante: « When I was three, three maybe four/She left us at the video store ») et de la lucidité (notamment sur la berceuse post-mortem « Fourth Of July » avec son ambiance pesante digne d’une série dramatique américaine où il émet cette triste conclusion réaliste: « We’re all gonna die »), voire même une dose de spiritualité (sur « John My Beloved », il clame: « Jesus, I need you, be near, come shield me/From fossils that fall on my head » et sur « Blue Bucket Of Gold », il l’implore le Seigneur de le toucher avec Sa lumière). L’ambiance musicale est très dépouillée. Il n’est armé généralement que d’une guitare acoustique et de sa voix presque chuchotée où il aura parfois recours à l’overdubbing pour accentuer l’émotion. Il est bien sûr accompagné de quelques notes de piano fantomatiques et des chœurs angéliques sur certains titres comme « Should Have Known Better », « John My Beloved » et « Blue Bucket Of Gold » afin de capturer la magie intacte de ses souvenirs.

Carrie & Lowell n’est pas seulement un recueil de mémoires personnelles de Sufjan Stevens mais un moyen de faire un deuil correctement comme n’importe quel être humain. Ce qui est très intéressant, c’est que son histoire pourrait concerner et toucher pas mal de monde qui se retrouveraient dans cette situation et on peut voir à quel point ce musicien est humble, définitivement en paix avec lui-même. C’est tout simplement LE chef-d’oeuvre folk qui fait déjà partie non seulement des incontournables de sa discographie aux côté d’Illinois mais de cette année 2015. Un disque très fort, touchant et gracieux à écouter dans sa chambre.

Note: 10/10