Radiohead – A Moon Shaped Pool

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Si de nombreux artistes et groupes ont opté pour le coup du surprise album ces derniers temps, c’est en partie grâce à Radiohead. Ces derniers sont des experts en la matière, on a vu ce que ça a donné en 2007 avec In Rainbows, soit leur premier album qui a cassé les Internets en proposant la formule « Pay what you want » et en 2011 avec The King Of Limbs qui a divisé, pensant que c’est plus un projet solo de Thom Yorke qu’une oeuvre du groupe. Durant ces cinq années de hiatus, le quintet d’Oxford a été bien occupé.

Thom Yorke enchaîne les side-projects (Atoms For Peace), collaborations (Flying Lotus, Mark Pritchard…), carrière solo (son second opus Tomorrow’s Modern Boxes en 2014) et engagements politiques (COP21…). Le guitariste Jonny Greenwood a trouvé un second souffle dans les bandes-originales (We Need To Talk About Kevin, Inherent Vice, The Master…), était compositeur résident pour le BBC Concert Orchestra et a même collaboré avec le compositeur israélien Shye Ben Tzur pour l’excellent album Junun en novembre 2015. Tandis qu’Ed O’Brien et Colin Greenwood se sont retirés de la scène médiatique, Phil Selway s’est relancé en solo avec un second opus Weatherhouse en 2014. On était pas prêts d’avoir un nouvel opus du groupe de sitôt… jusqu’à ce qu’à ce jour du 8 mai.

Après des longs mois de nombreux teasings, de spéculations (comme ce fameux pseudo-manager Brian Message disant qu’il paraîtra en juin et qu’il sera ouf. Le seul hic, c’est qu’aucun membre du groupe le connaît. Oups !), de photos postés par Nigel Godrich, l’homme de l’ombre, de théories (la fameuse théorie Dawn Chorus) et autres fausses joies, Radiohead pète un câble et décide d’envoyer des cartes postales à ses fans les plus fidèles « Burn the witch, we know where you live ». Sans que l’on sache pourquoi, le groupe décide de disparaître totalement des réseaux sociaux lors de la fête du travail. Et là, la Twittosphère et la Facebookosphère s’affolent, ne comprennent rien. Deux jours plus tard, un teasing vidéo de 15 secondes montre un oiseau en train de chanter perché sur une branche. What the fuck ? A quoi jouent-ils encore ? Et puis là, un premier extrait est envoyé et il s’agit du titre « Burn The Witch » agrémenté d’un clip inspiré du film d’horreur The Wicker Man montrant ce fameux oiseau et pour les fans, il n’y a pas de doute, un nouvel album arrive. Mais pour quand ? Demain ? Après-demain ? Dans une semaine ? Un mois ? Un an ? Puis trois jours après, rebelote. Cette fois-ci, un autre teaser vidéo est diffusé sur l’Instagram du groupe montrant Thom Yorke égaré dans un parking. Encore du teasing ? Mais ce petit jeu va durer pendant combien de temps encore ? Puis au final, le quintet abandonne et dévoile un second clip « Daydreaming » réalisé par Paul Thomas Anderson. Et le neuvième album est bel et bien là, il s’appelle A Moon Shaped Pool et sortira le 8 mai en digital et le 17 juin en physique. Encore une fois, le coup de com’ aura été mi-ingénieux mi-relou mais il aura le mérite de nous faire oublier la gifle de Joey Starr.

A Moon Shaped Pool est donc le neuvième album officiel du groupe et est composé de 11 titres qui sont classés par ordre alphabétique. Toujours produit par Nigel Godrich et enregistré aux studios La Fabrique à Saint-Rémy de Provence, il se présente parmi un petit retour aux sources comparé à son prédécesseur trop expérimental. Parmi ces onze titres, cinq étaient connus des fans hardcore: « Burn The Witch », « Full Stop », « Identikit », « The Present Tense » et… « True Love Waits ». Il était question de « Lift », titre joué en live par le groupe en 1996 mais n’apparaîtra finalement pas. Ni « Spectre » dévoilé en décembre dernier qui devait faire office de bande-originale du dernier James Bond. Mais qu’importe, la presse adore et les critiques sont très élogieuses, à un tel point que Les Inrocks qui ont craché sur le groupe dans le passé et le louent comme étant « l’album le plus captivant depuis OK Computer ». Et encore une fois, cet album est classé n°1 presque partout dans le monde. Cela vaut-il vraiment le coup ? Réponse dans cette longue chronique en track-by-track.

  • Burn The Witch :

Voici le premier titre qui ouvre l’opus et qui plante l’ambiance générale. On avait déjà entendu parler de ce titre depuis les sessions d’Hail To The Thief en 2002 via des bribes de paroles et a été travaillé à multiples reprises de 2006 jusqu’en 2016 (des prémices d’In Rainbows jusqu’à aujourd’hui). Et voici donc le résultat: une pop-song orchestrale et dynamique avec ses arrangements de cordes col legno du London Contemporary Orchestra résolument majestueux signées Jonny Greenwood qui ridiculisent Coldplay (et ce final bien stressant digne d’un film de Hitchcock). Quelle joie de réentendre la voix si familière et si élégante de Thom Yorke sur ce titre traitant de la crise des migrants de façon métaphorique (les références sont facilement déchiffrables dans le clip).

  • Daydreaming :

Le second titre dévoilé deux jours avant la sortie d’A Moon Shaped Pool est peut-être celui qui a le plus séduit les gens. Avec son clip réalisé par Paul Thomas Anderson où l’on voit Thom Yorke déambuler différents endroits et ouvrir de nombreuses portes (référence à « Pulk/Pull Revolving Doors » ?), cette splendide et dramatique ballade jouée au piano agrémentée des chœurs fantomatiques de Yorke et de est sans conteste la plus réussie et la plus émouvante depuis « Pyramid Song ». On y verrait également une référence à la vie sentimentale chaotique de Thom (il s’est séparé de sa compagne Rachel Owen après 23 ans d’idylle en octobre dernier) où sa voix est distordue et inversée mais on entendrait: « Half of my life », « I’ve found my love » ou encore « Every minute, half of my love » vers la toute fin.

  • Decks Dark :

Ceux qui se sentent frustrés à l’idée de ne pas entendre Ed O’Brien, Colin Greenwood et Phil Selway seront rassurés avec ce troisième morceau. Du Radiohead 100% pur jus avec un arrière-plan planant, sa mélodie au piano magistrale, ses chœurs féminins spectraux et les baguettes magiques de Selway. Mention spéciale pour la première partie absolument magique et le pont renversant.

  • Desert Island Disk :

Les accords de guitare sèche au début suffisent pour nous emporter avec en prime la voix libérée et sereine de Thom Yorke. « Desert Island Disk » est une délicatesse sans nom si on prend en compte en plus les arrangements envoûtants qui vont avec.

  • Ful Stop :

Assurément la pièce centrale de l’opus. Introduit par son rythme obsédant, sa basse qui absorbe tout sur son passage et ses sonorités électro menaçantes. Il n’y a pas de doutes, c’est le retour du Radiohead électronique. « Ful Stop » a été présenté en live pour la première fois en 2012 pendant la tournée The King of Limbs et a été retravaillée pendant les sessions de cet album avec Clive Deamer. « You really messed up everything, why should I be good if you’re not ? », chante Thom. Nous la jouerait-il Beyoncé comme sur Lemonade ? Nul ne le sait mais plus on avance, plus on se laisse emporter par ce titre inquiétant avec ce rythme qui s’intensifie, le falsetto de Thom et les arpèges de guitare mélodiques qui vont avec.

  • Glass Eyes:

Nouvelle ballade de l’opus où chaque son, chaque arrangement et chaque mélodie est soignée jusqu’à l’os. Les notes de piano vaporeuses et les violons font vibrer notre chair (merci encore Jonny pour ses arrangements de qualité). Assurément le « Faust Arp » de l’opus. Sublime.

  • Identikit :

Joué en live pour la première fois en 2012, « Identikit » plonge l’auditeur à nouveau dans les limbes. Mené par une batterie discrète, une guitare quelque peu hésitante et des voix en fond sonore répétant « A moon shaped pool », Radiohead flirte quelque peu avec le R&B et, comme à son habitude, fait monter la tension jusqu’au solo de guitare agité vers la fin. C’est peut-être pas le morceau le plus transcendant de l’opus mais ça a au moins le mérite de montrer plusieurs facettes du groupe.

  • The Numbers :

Des éclats de rire se font entendre au lointain (ceux de Thom ?) et les accords de piano inspirés par l’éthiopienne Emahoy Tsegué-Maryam Guèbrou retentissent et nous lâchent pas d’une semelle. Le titre fut connu sous le nom de « Silent Spring » et a été interprété par Thom en décembre dernier à Paris et à la guitare acoustique. Sur un thème relatant le changement climatique, la mélodie est presque similaire à « Talk Show Host » (face B ultra-populaire du groupe) avec des arrangements de qualité (cordes et basse funky) influencés par Gainsbourg période Histoire de Melody Nelson. L’outro est très surprenante car on s’attendait à ce que le morceau reparte mais non.

  • Present Tense :

Assurément mon titre préféré de l’opus car il est chaleureux et reposant. Il a été joué par Thom pour la première fois en 2009 au Latitude Festival avant de récidiver quatre ans plus avec Atoms For Peace. Pour la première fois, Radiohead incorpore des rythmes proches de la bossa-nova. Serait-ce dû à l’exil volontaire au Brésil d’Ed O’Brien ? Quoi qu’il en soit, c’est une jolie chanson sereine et exotique que l’on écouterait en contemplant un coucher du soleil sur le sable.

  • Tinker Tailor Soldier Sailor Rich Man Poor Man Beggar Man Thief :

Ce morceau aurait pu figurer sur Tomorrow’s Modern Boxes à cause de son côté quelque peu expérimental. Avec des sonorités rappelant quelque peu The Gloaming ou Like Spinning Plates, ce titre (que j’ai pas envie de retaper parce que la flemme) est d’une curiosité sans nom avec ses claviers distordus. Puis soudain retentit la batterie et Jonny fait ressortir les cordes pour des partitions grandioses qui me font penser à la fin de « Viðrar vel til loftárása » de Sigur Rós. La chair de poule jusqu’au bout, vous dis-je !

  • True Love Waits :

Voici donc la 100ème chanson du groupe qui figure sur un album. Tous les fans inconditionnels du groupe la connaissent par cœur depuis 1995 lorsqu’ils l’ont joué pour la première fois en live. D’ailleurs, on la retrouvera six ans plus tard l’EP I Might Be Wrong: Live Recordings sous format acoustique. Est-il nécessaire de la remettre sur l’album ? A priori oui, selon Nigel Godrich. La version de l’album est beaucoup plus mélancolique et beaucoup plus poignante. On retrouve donc Thom au piano accompagné de sonorités vaporeuses et elle montre un aspect différent de la version originale. Si on prend compte de la vie sentimentale de ce dernier, les paroles de cette chanson sont beaucoup plus touchantes surtout le refrain où il chante: « Just don’t leave, don’t leave ». Et pour être honnête, même si j’adore la version originale, cette version m’a fait tirer une larme.

Pour conclure, A Moon Shaped Pool est une oeuvre majeure de Radiohead mais il est encore trop tôt pour déterminer si il atteint les sommets d’OK Computer ou de Kid A. Il ravira cependant les puristes et les novices du groupe qui auront été désorientés par The King Of Limbs. On peut féliciter Jonny Greenwood qui est le maître sur l’opus dont son travail avec Anderson et avec le London Community Orchestral se fait fortement ressentir mais aussi Nigel Godrich qui a perdu son père durant la conception de son opus. Il aura fourni un travail personnel remarquable à la production et au mixage rendant les sonorités plus clairs et vastes, un peu comme feu George Martin à l’époque des Beatles. En somme, ce neuvième opus affiche un groupe plus serein mais aussi plus mélancolique qu’à l’accoutumée et peut donner des perspectives intéressantes pour la suite, si seulement il y aura un dixième album à l’avenir.

Note: 9.5/10