Mount Eerie – A Crow Looked At Me

Au risque de me répéter, l’année 2016 aura été la pire année de l’histoire de l’humanité. On a perdu pas mal de légendes et d’artistes talentueux, on a perdu l’Euro, des attentats revendiqués par Daesh ont eu lieu, le Brexit et pour couronner le tout la victoire complètement hasardeuse et scandaleuse de Trump. Et bien l’année 2016 fut également éprouvante pour Phil Elverum, alias Mount Eerie qui nous raconte sans pudeur son deuil sur son nouvel album A Crow Looked At Me incroyablement bouleversant.

Pour ceux qui n’ont pas suivi l’histoire, Phil Elverum et sa femme Geneviève Castrée furent membres du projet Mount Eerie. En 2015, alors qu’ils ont sorti l’album Sauna, ils auront un enfant ensemble et dans la foulée, Geneviève sera diagnostiquée d’un cancer de pancréas qui tue environ 80% des patients atteints de cette maladie. Toute la communauté indie se mobilise pour collecter les fonds pour la suite du traitement. Malheureusement, rien n’y fait car le 9 juillet 2016, elle succombera de ce cancer auprès de son époux et de quelques membres de sa famille. Ainsi Phil, qui aura vécu le décès de sa femme, s’enfermera dans la chambre où elle est décédée jusqu’en décembre 2016 pour composer ce sublime et touchant album où il recolle les souvenirs passés des deux tourtereaux.

« Death is real » susurre le natif de Washington sur le premier titre « Real Death » où n’est présent qu’une guitare et une boîte à rythmes discrète et plante le décor d’A Crow Looked At Me. Profondément atterré et dévasté par cette perte tragique, il refuse de reconnaître son absence définitive (« It’s dumb and I don’t want to learn anything from this… I love you »). Il en est de même pour les comptines incroyablement poignants où l’on plonge sans pudeur dans son intimité comme « Seaweed » où Phil et sa fille s’en vont sur une île où le couple avait prévu de déménager et est poussé par un bon nombre de questions, « Ravens » et « Forest Fire » où il ressasse des vieux souvenirs avant de réaliser qu’elle n’est plus là. Les paroles « I reject nature, I disagree » et « How could I live ? » de la fin du dernier morceau cité plus haut traduit son immense désespoir et son mal-être mais c’est aussi une question que l’on se pose quand un être aimé parvient à nous quitter. Parfois, il imagine que sa bien-aimée (du moins, son esprit) veille sur lui lorsqu’il sort les poubelles sur « When I Take Out The Garbage At Night ».

Ce n’est pas du tout facile à appréhender et à écouter cet album d’une traite, surtout lorsqu’on a connu une période de deuil comme Phil Elverum. Mais le plus tragique dans A Crow Looked At Me, c’est lorsqu’il parle à sa fille d’un an et demi qui est trop petite pour comprendre la situation à travers des bribes de morceaux. Sur « Swims », cette dernière lui a demandé si Geneviève savait nager, il répond: « Yes, she does and that’s probably all she does now » car ses cendres nagent à travers l’océan. Plus loin, sur le dernier morceau « Crow », Phil et son enfant se promenaient dans les bois en novembre dernier, pendant la période des élections précisément, on l’entend chanter: « Sweet kid, what is this world we’re giving you ? Smoldering and fascist with no mother, are you dreaming about a crow ? » et vers la fin: « Sweet kid, I heard you murmur in your sleep. ‘Crow,’ you said. ‘Crow.’ And I asked, ‘Are you dreaming about a crow?’ And there she was ». On comprend que la mort est réelle et qu’elle n’hésite pas à frapper qui que ce soit dans ce monde et le musicien l’a compris. N’y voyez donc aucun superflu dans les compositions, si ce n’est une guitare (tantôt acoustique tantôt électrique), quelques notes de piano, une boîte à rythme discrète intervenant sur quelques morceaux pour un résultat des plus dépouillées et bruts de décoffrage (on y entend le bruit du café en hiver et le son du parquet si on tend bien l’oreille) comme « My Chasm », « Emptiness Pt. 2 » et « Toothbrush/Trash » où il réalise que sa bien-aimée ne survit qu’à travers les photos et ses objets (sa brosse à dents). On retrouvera des distorsions plus électriques mais discrètes sur le moment d’introspection du tragique « Soria Moria ».

Quand j’ai écouté A Crow Looked At Me, comme n’importe quel disque de deuil, j’ai fondu en larmes lors des dernières secondes tellement le contenu est bouleversant, négro fragile tel que je suis. Et quand ma mère est rentrée du boulot, j’ai couru vers elle et je l’ai serré très fort dans mes bras, à un point que je voulais pas qu’elle me quitte. Comme quoi la famille est ce qu’il y a de plus précieux au monde et ce malgré quelques différends et autres désagréments. Mount Eerie nous le fait rappeler à travers ces onze compositions intimistes qu’il est toujours important d’aimer son prochain et il fait partie avec Sufjan Stevens (pour Carrie & Lowell), Sun-Kil Moon (pour Benji), Nick Cave & The Bad Seeds (pour Skeleton Tree) des albums de deuil à la beauté désarmante où il nous invite à faire son deuil avec lui afin de mieux prendre conscience du monde qu’il nous entoure. La mort est réelle et a tout le temps donc mieux ne vaut pas perdre son temps à gâcher sa vie avec vos proches.

Note: 10/10