Arctic Monkeys – Tranquility Base Hotel & Casino

Who the fuck are Arctic Monkeys ? C’était le nom de leur premier EP paru en 2006, l’année de leur explosion, mais qui amène une question pour la moins intéressante. On les avait connu en tant que punk-rockeur bien agressif avec leur premier album Whatever People Say I Am, That’s What I’m Not qui est encore considéré comme étant un des meilleurs albums rock de la décennie précédente. On les avait également connu en tant que post-punk avec le dansant Favourite Worst Nightmare l’année suivante mais également stoner rock ténébreux avec Humbug en 2009 et plus dream-pop onirique avec Suck It and See en 2011. Bref, il était difficile de mettre une étiquette propre au groupe de Sheffield qui a atteint la consécration mondiale avec AM en 2013 qui fut rempli de tubes hard-rock avec un petit soupçon de R&B et il le sera encore aujourd’hui avec leur sixième album intitulé Tranquility Base Hotel & Casino.

La bande d’Alex Turner continue à se renouveler, quitte à désorienter son auditeur mais pour toucher un plus grand auditoire. Mission accomplie jusque là. C’est dans cette optique que Tranquility Base Hotel & Casino ira encore bouleverser les codes. Délaissant les ambiances nocturnes où cela transpirait la fête, l’alcool, le cul et la drogue à gogo d’AM qui a séduit le marché américain et qui les a étiquetté en tant que sauveurs du rock, ce cinquième opus opte un virage pour le moins détonnant allant lorgner vers la pop baroque et psychédélique des années 1960 et 1970. Vous vous direz sans doute: « Ouais mais Alex Turner a déjà fait ça avec The Last Shadow Puppets blablabla » mais on parle d’Arctic Monkeys à ce que je sache et il ira pousser le bouchon encore plus loin. Ce n’est pas pour rien qu’aucun single, aucune indice musicale n’a été donné et publié avant la sortie de l’album vendredi dernier (bon enfin, l’album fut leaké quelques jours avant mais peu importe…). Est-ce pour faire la nique à ceux qui les ont affiché cette étiquette de sauveurs du rock qui leur collaient tant à la peau ? Seul l’avenir nous le dira mais pour le moment, concentrons-nous sur le contenu qui est, ma foi, bien surprenant… du côté positif.

Plusieurs personnes sont missionnés pour relifter nos quatre singes de l’Arctique, de près comme de loin, le fidèle James Ford à la production mais également Cameron Avery qui officie aux chœurs et Evan Weiss de Wires on Fire. Niveau influences musicales, on citera Father John Misty (bah voyons…), l’Histoire de Melody Nelson de Serge Gainsbourg et le Samouraï de François de Roubaix montrant un quatuor de Sheffield à l’aise dans ce registre pop lounge et spatiale complètement psychédélique. Et il est clair que l’on est en plein dedans avec le premier titre « Star Treatment » où la voix riche en effets et légèrement désabusé d’Alex Turner: « I just wanna be one of the Strokes now look at the mess you made me make ». Fini les Arctic Monkeys agressifs qui envoyaient du gros son rock bien heavy et sale en pleine gueule, les guitares sont mises en retrait au profit des pianos, des clavecins, des Wurlitzer et autres gadgets synthétiques vintage à gogo. Et on n’est pas au bout de nos surprises avec d’autres titres résolument 70’s aux airs de documentaire de science-fiction comme le duo résolument lounge « One Point Perspective » avec sa rythmique quasi hip-hop et « American Sports » où les guitares fuzzy font leur retour mais en guise de texture sur la conclusion tout comme sur « Golden Trunks ».

C’est surprenant, c’est sûr mais c’est bien mieux quand ce virage amorcé est parfaitement amené. Ainsi, on appréciera l’évident single nommé « Four Out Of Five » aux airs de Bowie à son apogée du Thin White Duke qui pourrait être un futur classique du groupe avec son refrain saccadé qui rentre facilement dans la tête mais également « Science Fiction » avec ce duo piano/basse pour le moins incroyable. Ce n’est pas pour rien que la basse de Nick O’Malley est beaucoup mise en avant par rapport aux guitares car il mène la cadence avec ses lignes chaudes et groovy notamment sur le morceau-titre à l’atmosphère moelleuse ainsi que sur « The World’s First Ever Monster Truck Front Flip ». Rares sont les moments où Arctic Monkeys sort les crocs si l’on excepte donc « She Looks Like Fun » quelque peu grandiloquente avec les chœurs de Cameron Avery et la batterie de Matt Helders on ne peut plus énergique mais pour le reste, tout n’est que luxe, calme et volupté avec le rythme binaire de « Batphone » et la conclusion mélancolique et langoureuse nommée « The Ultracheese ». Beaucoup laissent à penser qu’il s’agit d’un album solo d’Alex Turner tant ce dernier a joué cartes sur table en écrivant et composant intégralement ce disque au piano délaissant son costume de rockeur pour celui de crooner désabusé en smoking qui sent l’alcool, le reste du groupe l’ayant écouté et validé pour ensuite enregistrer avec le frontman juste après. On avait eu les bribes de ce talent avec The Last Shadow Puppets mais aussi avec son EP Submarine paru il y a quelques années et bien ce virage est parfaitement amorcé avec Tranquility Base Hotel & Casino qui étonnera plus d’un, c’est certain.

Sur une note personnelle, il faut se rendre à l’évidence, un groupe de rock est censé prendre des risques et expérimenter pour pouvoir montrer ses limites quitte à se mettre son auditoire dans le dos. Honnêtement, je ne vois pas des gars qui seraient cantonné à faire des « I Bet You Look Good On The Dancefloor » ou des « Fluorescent Adolescent » décliné à l’infini pour satisfaire cette même fanbase. Non ça aurait été chiant à la longue. Les singes de l’Arctique l’ont très bien compris et même si ils ont l’air de rejeter cette étiquette de sauveurs du rock, ils ont joué le jeu jusqu’au bout. En bref, pour répondre à la question de Who the fuck are Arctic Monkeys ? Juste un groupe qui se renouvelle et qui prend des risques à chaque sortie d’album.

Note: 10/10