En novembre dernier, je vous ai parlé de Car Seat Headrest et de son album « officiel » Teens Of Style ici. J’avais insisté sur le fait que Will Toledo, tête pensante du projet et sosie vocal de Julian Casablancas, pourrait devenir un des noms à retenir cette année et je m’étais pas trompé pour une fois. De nombreux médias iront jusqu’à dire qu’il pourrait sauver la scène indie rock lo-fi américaine. Tant que ça ? Oui, ma foi. Après 11 albums publiés uniquement sur son Bandcamp et un album « officiel » pour le label Matador, voici LE véritable album du natif de Virginie intitulé Teens Of Denial qui est bien parti pour devenir un autre album incontournable de 2016.
De nombreux mois se sont écoulés et Will Toledo est devenu un phénomène indie rock à seulement 23 ans. Toujours nourri des influences des grands groupes indie rock des années 1990 (Sonic Youth, Pavement, Yo La Tengo, Dinosaur Jr., Guided By Voices…), il fait preuve de plus de professionnalisme et abandonne définitivement le côté lo-fi. « Salut les gars, vous écoutez euh… Car Seat Headrest ! C’est ça, non ? » s’exclame une voix féminine. Ensuite, le riff de guitare dynamique entre en scène et introduit le premier titre qui donne le ton au véritable premier opus nommé « Fill In The Blank ». Avec l’aide de ses acolytes Ethan Ives à la basse et Andrew Katz à la batterie, Will Toledo envoie tout balader et ça fait un bien fou. La suite est de très bonne facture avec « Vincent » et sa longue introduction calme mais inquiétante aux arpèges de guitare en suspens avant de repartir de plus belle ainsi que les expéditifs « Destroyed By Hippie Powers », « Drunk Drivers/Killer Whales », « Connect The Dots (The Saga of Frank Sinatra) » et « 1937 State Park ».
Ici, Will Toledo se met dans la peau d’un certain Joe qui est un jeune loser à qui il lui arrive les pires des merdes. Sur la ballade slacker de « (Joe Gets Kicked Out Of School For Using) Drugs With Friends (But Says This Isn’t A Problem) » où il raconte ses expériences avec la drogue ou sur l’hymne punk-rock implacable de « Unforgiving Girl (I’m Not An) où il joue les romantiques désespérés, il fait preuve d’un storytelling d’une façon fluide et brute à un point que l’on se met dans sa peau directement. Mais plus loin, on retrouve la pièce centrale de l’opus de 11 minutes nommée « The Ballad Of Costa Concordia » où il utilise la parfaite métaphore du Costa Concordia pour expliquer à quel point c’est dur d’être un capitaine de navire de sa vie face aux obstacles: il est incapable de garder son taff pendant une durée indéterminée, il oublie son sac sur le terrain de basket, il est toujours foncedé et bourré… (« How was I supposed to know how to steer this ship ? How the hell was I supposed to steer this ship ? It was an expensive mistake », susurre-t-il en plein milieu de morceau). Tellement de questions existentielles qui le démangent à un tel point qu’il n’hésite pas à reprendre « White Flag » de Dido au milieu de ces incessants changements de rythme alternant le calme pianistique et la tempête guitaristique.
D’ailleurs en parlant de reprise, il était question de sampler « Just What I Needed » du groupe The Cars mais Ric Ocasek vient lui briser ses rêves en lui interdisant de sampler quoi que ce soit. C’est d’ailleurs pour ça que la sortie de l’album en physique est retardée. A la place, on aura un « Just What I Needed/Not Just What I Needed » de très bonne qualité qui rappelle plus Pixies que Cars musicalement parlant (même si la version originale contenant le fameux sample qui a fuité sur le Net est un poil supérieur). Cela n’empêche pas pour Car Seat Headrest d’exprimer sa totale créativité et d’exorciser ses peines et ses doutes. L’intervention des cuivres sur « Vincent » mais aussi sur « Cosmic Hero » et sa montée en puissance peut paraître quelque peu incongru mais a le mérite d’illustrer les propos défaitistes de Will Toledo. Teens Of Denial est un très très grand album, il n’y a aucun clair là-dessus. N’oubliant pas ses racines DIY, Will Toledo peint tout simplement la triste réalité d’une génération post-adolescente complètement déboussolée, victime des responsabilités qu’ont laissé les générations précédentes tout en ajoutant une bonne part de vécu (la conclusion acoustique de « Joe Goes To School » est la triste et parfaite représentation). Mais il le fait avec une telle franchise que ça en donne la chair de poule. Ce disque est à louper sous aucun prétexte, c’est moi qui vous le dis.
Note: 10/10