PJ Harvey – The Hope Six Demolition Project

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Quand on a plus de 25 ans de carrière et révolutionné l’indie rock avec une discographie en béton, le plus dur souvent est de se renouveler. A moins de s’appeler PJ Harvey. A chaque décennie son lot de classiques avec Dry, Rid Of Me et To Bring You My Love dans les années 1990, Stories From The City, Stories From The Sea et White Chalk pour les années 2000. La britannique a mis tout le monde (la presse, les critiques et les fans) d’accord une énième fois avec Let England Shake en 2011 et qui lui a valu un second sacre au Mercury Prize. Le contenu politique de cet album y est pour beaucoup. Et justement, c’est dans cette lancée qu’elle nous revient cinq ans plus tard avec un nouvel opus The Hope Six Demolition Project avec toujours cette idée de se surpasser.

Tout le monde le sait, les prémices de ce nouvel opus ont eu lieu entre janvier et février 2015 où PJ Harvey et ses acolytes de toujours (Flood et John Parish) ont squatté l’installation artistique londonien Somerset House pour travailler sur le successeur de Let England Shake. Les sessions de studio sont ouverts au public et de nombreux fans et journalistes ont pu assister aux sessions de studio des musiciens, ce qui a fait languir plus d’un. Il n’y a pas de doutes, un nouveau PJ Harvey, c’est toujours un grand événement. Pour The Hope Six Demolition Project (dont le titre fait référence au programme de rénovation urbaine américain controversé HOPE VI), PJ Harvey a voyagé aux côtés du photographe Seamus Murphy au Kosovo, à Washington, en Afghanistan et a pu recueillir toute la misère et les galères que traversent les différentes populations. On a donc un documentaire politico-musical où la native du Dorset se pose en reporter à travers ces onze nouvelles chansons que je juge nécessaire de décortiquer une par une.

  • The Community Of Hope :

Le premier titre qui ouvre The Hope Six Demolition Project implante le décor général. Sur un morceau furieusement rock, PJ Harvey critique sans vergogne l’aménagement de Washington en mettant en avant les quartiers pauvres de la ville (« Here’s the highway to death and destruction, South Capitol is its name, and the school just looks like shit-hole, does that look like a nice place ?« ). Une critique acerbe qui a attiré les foudres de certains représentants de la ville, notamment Grant Thompson, Vincent C. Gray (maire de la ville) et son trésorier Chuck Thies qui ose comparer la chanteuse à Piers Morgan (Han ! Comment j’aurais pas aimé !). Mais la chanteuse s’en bat les couilles, elle fait mal là où il faut et quand il faut (« They’re going to build a Wal-Mart here », dit-elle à la fin).

  • The Ministry Of Defence :

Les riffs de guitare menaçant amorcent ce second titre au rythme saccadé et Polly Jean continue son « reportage » en décrivant un bâtiment abandonné en Afghanistan où toutes sortes de déchets sont laissés. Elle est accompagnée du mythique poète et chanteur jamaïcain Linton Kwesi Johnson (alias LKJ) aux chœurs mais aussi d’un saxophone cacophonique venant accentuer les propos de la chanteuse afin de mieux interpréter le chaos qui règne. Fabuleux.

  • A Line In The Sand :

Une section rythmique tendue, des arpèges de guitare planants et des saxophones ténors vibrant viennent habiller les propos alarmistes mais pacifistes de la Britannique qui émeut par sa voix suraiguë contrastant avec les chœurs graves.

  • Chain Of Keys :

On bascule cette fois-ci au Kosovo où le tandem PJ Harvey/Seamus Murphy a posé les valises et a exploré les recoins abandonnés. Avec les saxophones toujours aussi présents, ce titre amène une certaine tension avec ses tambours militaires, ses chœurs lancinants et son ambiance quasi-Western.

  • River Anacostia :

Une petite introduction a cappella quasi-mystique rappelant le chant des esclaves et déboule à nouveau les tambours et les notes de clavier discrets. Ce morceau a quelque chose de « Down By The Water » mais avec le côté Negro spiritual en plus mais qu’importe, on est emportés par ce moment solennel et la sentence finale (irrévocable) qui va avec: « Wade in the water, God is gonna trouble the water ». Si vous voulez une bonne dose de mysticité, vous êtes à la bonne adresse.

  • Near The Memorials To Vietnam And Lincoln :

Et là, on rebascule aux States où PJ Harvey épingle sans pitié les mémorials de Vietnam et de Lincoln à Washington DC. Au niveau instrumentation, c’est toujours aussi riche et enlevé avec son riff entêtant et ses claviers implacables.

  • The Orange Monkey :

Ici, elle est légèrement en retrait et ce sont ses musiciens (Mike Smith et Alain Johannes) qui donnent la charge au micro. Il est question de voyager dans des destinations inconnus histoire de partir à la pêche aux infos (« I took a plane to foreign land and said I’d write down what I’d find« ), le tout sur une composition à la fois dense et élégante dont seul la rockeuse a le secret.

  • Medicinals :

Retour à Washington DC où elle décrit sans équivoque le parc national National Mall et s’imagine comment fut le parc sans les dégâts chimiques et écologiques qui vont avec (« A new painkiller for the native people »). Le titre est certes court mais reste tout aussi intense avec son saxophone endiablé et son riff discret.

  • The Ministry Of Social Affairs :

Cousin éloigné de « The Ministry Of Defence », ce titre est moins saccadé mais est orienté blues. Et pour la première fois de son histoire, PJ Harvey aura recours au sampling car on entend un extrait d’un titre de Muddy Waters. Le morceau n’en reste pas moins déplaisant et pesant avec son solo dissonant de saxophone soutenu par des « That’s what they want, oh yeah, money honey ».

  • The Wheel :

Ce morceau fut connu du grand public depuis octobre dernier. Orienté garage-punk cette fois-ci, cet avant-dernier titre viendra épuiser toutes les forces avec ses claquements de mains, ses riffs de guitare implacables et son saxophone funeste. Pendant cinq minutes, PJ Harvey établit la réalité des quartiers pauvres du Kosovo avec des statistiques qui font froid dans le dos (référence au nombre de morts lors de la guerre au Kosovo en 1999-2000) mais aussi le fait qu’il est impossible pour une grosse majorité de résidents de se loger dans des logements convenables. Un « And watch them fade out » répété sans cesse viendra accentuer cette sordide sentence.

  • Dollar, Dollar :

Dernier titre et dernier chapitre du reportage passionnant que nous a présenté la chanteuse. Après une introduction longue où on entend un quartier animé (probablement en Afghanistan), les notes de clavier résonnent et la voix plaintive de la rockeuse retentit. Ici, elle se remémore d’avoir croisé sur son chemin un pauvre enfant afghan affamé et luttant contre la maladie. Profondément bouleversée, elle établit les valeurs d’un dollar par rapport au monde entier (pourrait-on voir une référence à « How Much A Dollar Cost ? » de Kendrick Lamar ?). Suite à ce texte touchant, elle laisse place à un dernier solo de saxophone totalement émouvant. Quoi de mieux pour clore ce The Hope Six Demolition Project de la plus belle des manières ?

Ceux qui ont adoré et loué Let England Shake seront sans doute désorientés par l’écoute de ce nouvel opus. Mais il n’empêche que PJ Harvey est plus engagée et plus militante que jamais à travers une plume réaliste et lucide où elle dénonce l’envers du décor qui n’est pas toujours rose. Là où son prédécesseur brillait pour son côté aérien, The Hope Six Demolition Project est plus rock, plus rude et toujours aussi riche au niveau des instrumentations. Encore une fois, elle, Flood et John Parrish ont réalisé un sacré beau travail car ils ont su apporter une certaine tension aux compositions sans mener aux explosions. Ce nouvel album pourrait constituer un nouveau tournant dans la carrière de la chanteuse, comme quoi on n’a pas toujours besoin de BFM pour savoir ce qu’il se passe dans le monde.

Note: 9/10