Le printemps 2024 sera clairement placé sous le signe de Cindy Lee. En effet, ça faisait tout de même quatre ans que nous étions sans nouvelles du musicien de Toronto suite à son excellent premier album nommé What’s Tonight To Eternity paru quatre années plus tôt (chroniqué ici). Et bien trêve d’impatience car Patrick Flegel, ancien membre de Women, compte frapper très (voire même très très) fort avec l’arrivée de son successeur absolument gargantuesque qui s’intitule Diamond Jubilee. Et quel album mes aïeux !
Alors oui, je sais, il s’agit d’un double-album pour plus de 120 minutes de musique. Mais autant vous dire que Cindy Lee, qui est l’alter-ego drag queen de notre protagoniste, voit les choses en grand à travers ce grand périple musical où on laisse le charme agir en nous. Et pour cause, Diamond Jubilee est une sorte d’excursion dans l’imagerie d’une Amérique (ou de Calgary) profonde où on croise sur notre route le destin tragique et brisé des divas d’autrefois avec le morceau-titre introductif psychédélique et caniculaire avant de laisser place à un « Glitz » au format plus glam se voulant être à mi-chemin entre T.Rex et le Tame Impala des débuts ou bien encore « Baby Blue » aux doux airs de blues hawaiien. Autant vous dire que ce long périple musical arrivera à brouiller de nombreuses pistes pour notre plus grand plaisir.
Prenez un zeste de pop psychédélique, une touche lo-fi, agrémentez d’influences doo-wop des années 1950 et de girl group des années 1960, touillez le tout et vous obtiendrez un Diamond Jubilee aussi bien onirique que crépusculaire. Cindy Lee arrive à nous en faire voir de toutes les couleurs à travers des compositions fascinantes à l’image des complaintes émouvantes que sont « All I Want Is You » et « Always Dreaming » à la croisée de la dream-pop et de la new age et qui contrastent aisément avec les envolées de « Wild One » dignes des ambiances de feu Morricone se muant peu à peu vers une transe new wave et « Dreams Of You » sans oublier les enivrants « Kingdom Come » très 50’s dans l’âme et « Demon Bitch » qui pourraient sortir tout droit d’un album de Velvet Underground. Chaque morceau est magnifiquement bien pensé, structuré et storytellé à un tel point que l’on est pris d’une grosse nostalgie sans oublier le jeu de guitare de toute beauté de Patrick Flegel (qui a pensé Diamond Jubilee seul avec une aide supplémentaire de Steven Lind sur quelques titres) brillant de mille feux notamment sur l’incroyable solo de « Government Cheque » contribuant à la réussite de ce disque. Mais pas que.
A chaque fois que j’écoute Diamond Jubilee, je découvre ces nouvelles chansons et en deviens instantanément nostalgique. J’ai l’impression de vivre un moment suspendu dans un moment suspendu en quelques sortes. En fait, il m’arrive de fermer les yeux et de me sentir complètement déphasé par rapport à mon environnement alors que l’horloge tourne, le temps passe. Ou des fois que je revisite des lieux fantômes à la fois mystérieux mais réconfortants et le tout avec ce songwriting impeccable de Patrick Flegel qui joue non seulement avec son interprétation trouble et androgyne où le spleen et la fragilité de la vie prennent le dessus de ces ambiances presque lynchiennes. C’est notamment le cas aussi sur les ballades doo-wop que sont « I Have My Doubt » et « Wild One » ou sur les allures presque blaxploitation comme la disco moite de « Olive Drab » et la funk mutante et quelque peu gothique de « Dracula » qui se joint à la plus menaçante « Stone Faces ». La nostalgie est d’autant plus grande lorsque le champ de vision musical de Cindy Lee s’élargit avec des moments exotica lo-fi de « Til Polarity’s End » et de « Darling Of The Diskoteque » marchant sur les pas de Tom Waits mais aussi la synthpop nocturne et néandertalienne sur « Darling Of The Diskoteque ». On aurait pu penser que l’ex-Women pourrait se perdre dans le fil de ses idées mais tout s’enchaîne avec une fluidité impressionnante avec également des moments pleins de vulnérabilité qu’est mon trio gagnant personnel avec « To Heal A Wounded Heart », « If You Hear Me Crying » et « Don’t Tell Me I’m Wrong ».
Avec une production à la fois cinématographique et souterraine mais aussi cet aspect à la fois spectral, rêche et lo-fi qui suffit à nous emporter de bout en bout avec « Durham City Limit » qui prend son envol au fur et à mesure avant de dévoiler son intense mélancolie sans oublier le final onirique et mystique qu’est « 24/7 Heaven », j’en ressors totalement sonné avec les étoiles pleins les yeux. Je rouvre les yeux et me voilà de retour à la réalité. C’est comme cela que je qualifierais Diamond Jubilee: un rêve hallucinant et halluciné où l’on contemple des paysages fantomatiques tandis que l’on part à la trace des divas brisés par les aléas de la vie. En somme, Cindy Lee a signé un grand disque d’une ampleur remarquable où le songwriting et les qualités mélodiques sont plus ambitieuses que jamais tandis que son auditoire ne voit pas le temps passer tant il est happé par ce périple si mystérieux. Un grand coup de maître.
EDIT: je viens d’apprendre que ce disque apparaît et disparaît de temps à autre sur les plateformes de streaming, sûrement pour des questions de droit (même si je m’en branle de Spotify désormais) donc je vous mets le lien Bandcamp au cas où pour écouter et plonger dans cette merveille.
Note: 10/10