Alors d’un côté, on a Karen O qui est leader du groupe Yeah Yeah Yeahs que l’on ne présente plus, si ce n’est qu’elle reste hyperactive sur la scène new-yorkaise en s’essayant en solo pour la première fois avec un Crush Songs en 2014 pas mémorable du tout. Et de l’autre, on a Danger Mouse que je ne présente plus du tout si ce n’est qu’il a produit pour presque tout le monde jusqu’aux Black Keys, Red Hot Chili Peppers, U2, Parquet Courts et Michael Kiwanuka. Ces deux figures ont changé en quelques sortes la facette de l’indie rock américain et se rencontrent désormais pour un album collaboratif nommé Lux Prima.
Annoncé depuis décembre dernier, le duo avait en réalité commencé à travailler sur le projet depuis 2016, soit un an après Karen O ait accouché d’un premier enfant. A cette époque-là, la new-yorkaise avait beaucoup collaboré avec le compositeur Daniele Luppi et le groupe Parquet Courts sur l’album Milano (chroniqué ici). Ces deux figures avaient déjà collaboré avec Danger Mouse: Daniele Luppi en 2011 pour l’album Roma et Parquet Courts pour leur album Wide Awake paru l’année dernière (chroniqué ici). Donc il était tout à fait logique que ces deux se réunissent pour nous offrir une bande-son nocturne et psychédélique des plus ambitieux comme elle souligne si bien: « Après avoir fait de la musique pendant 20 ans, et en m’embarquant dans ce projet avec Danger Mouse, j’étais déjà sûre de quelques petites choses : la première était que l’esprit de cette collaboration allait être pure, et la deuxième était que plus je vis, moins je comprends les choses. Quand on crée en se basant sur quelque chose de flou, on peut explorer des endroits qu’on n’a jamais visités. Je pense qu’on était tous les deux très excités d’aller vers cet inconnu ».
S’ouvrant sur un premier titre durant près de 9 minutes, Karen O et Danger Mouse veulent voir les choses en grand. Après une introduction instrumentale des plus orchestrales et des plus ambitieuses, la patte du producteur se fait sentir avec ses arrangements des plus soyeux à mi-chemin entre Art of Noise, Pink Floyd et Massive Attack où la diva new-yorkaise accouche tel un mantra enivrant: « I am nowhere, I am no one, I am nobody » avant de repartir dans une odyssée instrumentale. Voilà de quoi poser les bases de Lux Prima, d’ailleurs son intéressée a remarqué: « Avec Lux Prima, on cherchait vraiment un endroit plutôt qu’un son. C’était la première destination qu’on a partagée ensemble, donc on s’est dit qu’il fallait qu’on prenne notre temps pour y aller. La musique elle-même ressemble à des morceaux de voyages, mais c’est comme si tous ces morceaux avaient besoin les uns des autres« .
Et il est clair que le duo se complète parfaitement tellement de nombreuses influences se font entendre à travers cette pop psychédélique spatiale et luxuriante. Karen O sort définitivement de sa zone de confort et paraît moins excentrique que lorsqu’elle était aux côtés de Yeah Yeah Yeahs ou avec Spike Jonze où elle paraît plus charismatique sur la berceuse pop vaporeuse « Ministry » ou bien même les allures disco du brillant « Turn The Light » et du space-rock céleste de « Redeemer ». A l’inverse, elle sait afficher son côté tigresse redoutable sans aucun souci comme sur les allures Motown fiévreux de « Woman » aux rythmiques qui se font plus entendre.
Si l’on applaudit la renaissance vocale de Karen O, Danger Mouse n’est pas en reste non plus. Loin des atmosphères lynchiennes qu’il a concocté avec le regretté Sparklehorse en 2009 sur Dark Night Of The Soul ou des sonorités western spaghetti avec Daniele Luppi en 2011, le producteur continue ses épopées cinématiques où son amour pour le rock psychédélique des années 1960-1970 qui dépasse le cadre comme sur « Drown » et « Leopard’s Tongue ». On peut aussi citer « Reveries » qui ressemble à des chutes de studio de Crush Songs où les aspects lo-fi sont dilués pur des ambiances plus orchestrales que jamais mais encore la conclusion définitivement sensuelle de 6 minutes qu’est « Nox Lumina » comprtant une introduction des plus mornes, notre hôtesse répète de façon chaste sur une rythmique quasi hip-hop: « Every time I close my eyes, someone else is paradise ». Avant de laisser place à une conclusion instrumentale symphonique où les synthés oniriques et les cordes mènent la cadence et de laisser place à un coda audacieux.
Il est bien loin le temps où Danger Mouse décevait pour ses productions trop léchées qui portaient préjudice à pas mal de groupes (The Black Keys, Portugal. The Man, Broken Bells…) et où Karen O tournait en rond auparavant. Les deux hôtes se sont retrouvés et nous offrent un Lux Prima complètement immersif et brillant où l’aspect cinématographique est mis en avant et ses neuf compositions ne sont que faisceau de lumière dans cet épopée nocturne.
Note: 9/10