Bandit Bandit – 11:11

Dans la numérologie, l’heure miroir 11h11 signifie plusieurs choses. Cela peut signifier, dans un premier temps, cet invitation de commencer quelque chose de nouveau, de prendre un nouveau point de départ afin d’entreprendre quelque chose de différent. Cette heure évoque un appel au calme face à la nervosité et cette soif de pouvoir. Dans tous les cas, ce point de départ est nécessaire pour chacun.e d’entre nous pour entamer une nouvelle histoire que l’on peut guider en toute confiance. Ou plus principalement une nouvelle histoire d’amour avec un inconnu ou avec soi.

Pour Bandit Bandit, la signification de 11:11 est purement symbolique sur plusieurs points. Le duo montpelliérain formé par le couple chic et choc qu’est Maëva Nicolas (chant, guitare) et Hugo Herleman, ex-membre de Kursed (guitare) qui a atteint les sommets après deux EPs salués par la critique (chroniqués ici et ici) et en passant notamment dans l’émission The Artist a besoin de ce nouveau départ. Le couple s’est soudé, a brassé de nombreuses tempêtes, exorcisé leurs démons respectifs pour en arriver là, comme l’atteste le premier titre nommé « Toxique Exit » définitivement heavy et explosif avec ce refrain accrocheur taillé pour les stades (« C’est toi qui a pris possession de moi ?/C’est toi, je suis éprise sous ton emprise »). Plus question d’être l’emprise de leurs démons, Bandit Bandit se libère de leurs chaînes pour la reconquête de soi.

L’univers rock’n’roll qui a tant fasciné beaucoup de gens reste présent avec ces riffs survoltés étant leur marque de fabrique mais aussi cette identité visuelle toujours aussi impeccable. De quoi visualiser des relations amoureuses teintées de complexité, de questionnements et d’interrogations en tous genres avec des textes plus vrais que nature qui résonnent en nous avec le groove insoupçonné de « La Montagne » qui nous donne envie de sortir notre costard. Cette narration est un point fort chez Maëva qui trouve les termes justes et adéquats comme sur les claviers psychédéliques de « Des fois » interrogeant sur la future possibilité de voir cette relation amoureuse (« Est-ce qu’il y a toujours une vie après l’amour ? », chante-t-elle). Elle réussit parfaitement à jouer avec sa voix puissante pour incarner à la fois la vulnérabilité et la passion, notamment sur le tube de 11:11 qu’est « Si j’avais su » alternant couplets sombres et refrains lumineux et groovy, avec en prime un excellent solo de guitare de la part d’Hugo. Cette dualité est plus que palpable prouvant qu’elle réussit à dompter l’atmosphère musicale par cette interprétation si naturelle annonciatrice d’innombrables émotions contrastées tout comme sur l’impeccable « Curseur » groovy et électrique. En vérité, c’est presque une science d’analyser et de disséquer l’art de la maîtrise vocale de Maëva.

Il y a avant tout une part d’autobiographie dans ces textes pour le duo. Entre quêtes existentielles pour l’un et addictions passés pour l’autre, Bandit Bandit brasse les différentes tempêtes qu’ils ont traversé envers et contre tout comme l’atteste la splendide ballade rock nommée « La Marée » avec cet aspect dramaturgique digne de Lana del Rey (avec ce refrain si entêtant: « La marée monte/La mer aimante ») ou encore « L’Orage est passé » qui est, sans conteste, une de mes préférés de l’album. Bien entendu, c’est également l’occasion de régler leurs comptes et de mettre en garde tous comportements sexistes et machistes. C’est notamment le cas pour « Pyromane » qui est un véritable manifesto du courant #MeToo mais plus particulièrement face aux récentes affaires dans le milieu de l’industrie de la musique mises en valeur par Music Too (« Si tu m’allumes, je t’éteins… ») ou bien également les allures surf de « Lucky Luke » déplorant les féminicides et autres violences faites aux femmes tout en avertissant les prédateurs qui restent impunis que le karma n’est pas lointain. Des textes fortement féministes derrière cette grande démonstration de jeux de mots (« démocratie, des mots crasseux », « le cœur sûr, le curseur est monté d’un cran », etc…) dont on adhère facilement.

Alors bien sûr, 11:11 est pour moi un classique imparfait. Bandit Bandit allie le rock alternatif anglo-saxon des plus abrasifs et tonitruants (St. Vincent, Queens Of The Stone Age, The Kills, Cage The Elephant) et l’art de la chanson française (le duo Gainsbourg/Birkin en ligne de mire mais aussi Alain Bashung, Niagara…) avec une (super)production beaucoup plus colorée qu’à l’accoutumée. Certains aficionados du duo pourront regretter le côté spontané des débuts qui se dégageait sur des titres comme « Maux », « Désorganisée » ou « Nyctalope ». La plupart du temps, la production peut s’avérer un peu boulimique notamment sur les gimmicks maladroits de « La montagne » malgré ses synthés glaçants dignes d’une ambiance de film d’horreur ou sur « Points de suture » qui s’avère trop copieux à l’écoute. En revanche, le dernier titre nommé « Méchant garçon » co-écrit par Chien Noir est une autre réussite avec ce clin d’œil à « Venus In Furs » de Velvet Underground avec un point de vue beaucoup plus féministe. Ici, l’interprétation pleine de sincérité de Maëva est si harmonieuse presque habitée par cette composition dénuée de toute artifice avec bien sûr cette authenticité qui revient et qui (espérons-le) figurera parmi un de leurs futurs hymnes dont on se souviendra.

Abordant sans pudeur les relations amoureuses complexes, les moments de perdition, la désillusion face à une société patriarcale bien oppressante, la plume aussi bien personnelle et engagée se mêle parfaitement à cette musique destinée à un plus grand public. Avec 11:11, Bandit Bandit ne peut compter que sur eux pour brasser les différentes tempêtes et il ne fait aucun doute qu’il s’agit ici d’un grand accomplissement artistique. Un véritable tour de force malgré la production (un brin) sophistiquée en soi. Mais nos deux tourtereaux du rock français en ressortent grandis des épreuves du passé et ont pu passer au-delà de la marée qui les submergeait depuis peu. Ce n’est pas pour rien qu’ils fascinent toujours autant.

Note: 11/11