Depuis qu’il a connu la consécration en 2008 avec son second disque Los Angeles, Flying Lotus est devenu en quelques sortes l’ambassadeur de la scène glitch-hop et jazz électronique actuelle. Il aura fallu d’autres disques classiques comme Cosmogramma en 2010, Until The Quiet Comes en 2012 et You’re Dead! en 2014 pour que tout le monde se l’arrache. De Kendrick Lamar à ses fidèles collaborateurs (Thundercat, Kamasi Washington), le producteur n°1 n’a plus rien à prouver, jusqu’à cette année où il revient avec Flamagra qui fait suite à cinq années de silence radio.
Après s’être essayé à la réalisation de films avec le bien trop crade Kuso qui a connu une mauvaise réputation, Flying Lotus revient à ses premiers amours qu’est la musique. Avant Flamagra, le CEO du label Brainfeeder a contribué à droite à gauche entre les bandes sons pour Blade Runner Black Out 2022 et Carole & Tuesday. Cette fois-ci, il nous présente donc ce qu’il semble être selon lui, le sequel de son chef-d’oeuvre qu’est Cosmogramma. Sauf qu’entre 2010 et 2019, beaucoup de choses se sont passées dans le monde de la musique. Pourtant, l’univers musical du bonhomme reste toujours aussi intact à travers ces 27 morceaux pour 67 minutes de musique où l’on passe du jazz-funk au glitch-hop débridé et du hip-hop expérimental et psychédélique non dénués de soulful.
Après avoir exploré le thème de la mort et des rêves, Flamagra se focalise sur le thème du feu et à comment entretenir la flamme dans n’importe quelle situation. Inspiré par David Lynch qui contribue de près ou de loin à cet opus (il officie au spoken-word sur le spectral « Fire Is Coming » aux ambiances film noir en détaillant un récit des plus morbides), le petit-neveu d’Alice Coltrane entretient cette flamme à travers ce nouveau voyage cosmique avec ces beats jazz-funk spirituels qui lui vont comme un gant avec l’introductif jazz synthétique de « Heroes » sans oublier les odyssées où la patte de feu J Dilla et Madlib restent présents que sont les bouncy et mutants « Post Requisite » et « Heroes In A Half Shell ». Il y en a vraiment pour tous les goûts que ce soit des moments rêveurs et atmosphériques comme « Andromeda » et « Say Something » ou d’autres plus déglingos comme la funk robotique de « Takashi » ou la synthfunk de « Pilgrim Side Eye » où Herbie Hancock impose sa patte en passant par le hip-hop lo-fi de « FF4 ».
Pour cette bande-son aux allures post-apocalyptiques, beaucoup d’invités de marque sont à souligner tout au long de ce Flamagra, à savoir l’incontournable Anderson .Paak qui pose sa voix bien caractéristique sur « More » aux accents hip-hop old school mais encore Solange (sœur de) sur le plus baroque « Land of Honey » avec également le pianiste Robert Glasper pour la petite touche soul/jazz. Voilà donc pour la partie soul, quoi que on a oublié le groupe Little Dragon (ou devrais-je dire Yukimi Nagano) sur le magique « Spontaneous » au riff de clavecin entêtant. Les vétérans ont également leur mot à dire car après Herbie Hancock, voici venir le légendaire George Clinton toujours aussi déjanté sur le funk euphorique nommé « Burning Down The House ». Le monde du hip-hop répond présent comme la sensation Thierra Whack qui pose son flow venimeux sur « Yellow Brick » où les kicks et les snares jouent avec nos nerfs ou Denzel Curry qui y va jambon sur le post-apocalyptique « Black Balloons Reprise » rappelant les productions de Madlib en passant par les hallucinés et hallucinants Shabazz Palaces qui nous embarquent dans une faille spatio-temporelle sur le trop court « Actually Virtual ».
On peut citer l’éternel habitué Thundercat qui pose sa voix de velours sur « The Climb ». Même si Kamasi Washington ne répond pas présent tout au long de ce Flamagra, on peut tout de même compter sur Toro y Moi sur « 9 Carrots » pour relever le niveau. Cette odyssée que nous concocte Flying Lotus est en quelque sorte un refuge pour la douleur où les flammes peuvent s’embraser d’un moment à un autre comme sur les aspects dignes de Sly & The Family Stone sur « Debbie Is Depressed » et « Pygmy ». Et aussi un moyen de faire son énième deuil et c’est au regretté Mac Miller qui en fait les frais à deux reprises sur les touchants « Find Your Way Home » ou le plus rock « Thank U Malcolm » où l’on a toujours du mal à réaliser sa disparition. Le sixième album studio du producteur californien prouve qu’il n’a rien perdu de sa touche qui a fait de lui un des producteurs les plus intrigants de la scène beat californienne et jazz-funk électronique du moment tant il arrive à maîtriser la flamme qui s’embrase comme bon lui semble.
Note: 8.5/10