Activity – Spirit In The Room

L’année 2020, comme beaucoup d’entre nous peuvent le passer, fut sacrément rude et merdique à souhait. Je le clame haut et fort: cette année était vraiment placée sous le signe de la fin du monde entre confinements incessants, récession monstrueuse, violences policières et autres catastrophes inattendues. De quoi avoir le moral en berne et j’en parle en connaissance de cause: ma santé mentale a énormément pris cher. Bien évidemment, j’ai comme cette sensation que ces événements désagréables du passé me hantent au quotidien. Comme un fantôme ou un esprit malveillant. Ce truc qui, parfois, m’empêche d’avancer et d’aller de l’avant.

Je ne suis pas le seul à ressentir cette sensation. Le groupe Activity est un peu dans ce cas de figure. Petite piqûre de rappel: après avoir mis fin à la splendide aventure musicale que fut Grooms, Travis Johnson (chant, guitare) et Steve Levine (batteur, comédien à ses heures perdues) décident de créer Activity en conviant cette fois-ci Jess Ress de Russian Baths (guitare, chœurs) et Zoë Browne d’Empty Country et de Field Mouse (basse). À eux quatre, ils auront sorti un premier disque remarquable du nom d’Unmask Whoever, titre étrangement prémonitoire et ironique (chroniqué ici) produit par Jeff Berner de Psychic TV en mars 2020. Le superquatuor de Brooklyn était paré pour partir en tournée mais COVID croisé tu connais. Paru alors que la pandémie éclate, le groupe de Brooklyn a vu leurs plans tombés à l’eau. Contraint d’annuler leur tournée, ils ont dû se changer les idées en allant au studio quand ils le pouvaient en plein confinement. Et pendant que le monde sombrait, pas mal de bouleversements ont eu lieu au sein du groupe: Zoë Browne est remplacée par Bri DiGioia et Travis Johnson a perdu sa mère et a vu son père gravement malade. Affecté par ses événements aussi bien personnels que mondiaux, ils en ressortent hantés et affectés par ces fantômes présents, comme l’atteste leur second album nommé Spirit In The Room qui est une référence à Smog. D’ailleurs, le point de départ de ces thématiques aura été le sublime inédit « Text The Dead » paru en 2021.

Toujours en s’éloignant de ce qui a fait la renommée de Grooms et de Russian Baths, Activity enfonce le clou de leur musique expérimentale en distillant un zeste de trip-hop, de noise-rock avant-gardiste et d’electronica expérimentale. Imaginez une fusion entre Suuns, Autolux et This Mortal Coil. Et bien, vous obtiendrez un Spirit In The Room hanté, ténébreux et glacial sans compter la production experte de Jeff Berner pour relever le tout. On a déjà le sang glacé dès les premières notes de « Department Of Blood » avec ses samples de voix féminine et cette rythmique pulsative, obsédante et saturée prenant de l’ampleur et rappelant quelque peu celle de « Pulk/Pull Revolving Doors » de Radiohead sans oublier la voix moins chuchotée et plus lancinante de Travis Johnson cherchant à se défaire de cette société capitaliste en perdition. Cette entrée en matière à mi-chemin entre dream-pop et trip-hop industriel donne le ton tout comme cette tension permanente qui réside sur le fantomatique « Careful Let’s Sleepwalk » où le tandem Johnson/Rees fait des merveilles, entre un Johnson inquiet et une Rees au lointain qui se veut rassurante tout comme sur « I Like What You Like » nous mettant la chair de poule.

Jess Rees se met de plus en plus en avant notamment sur les sublimes « Where The Art Is Hung » aux doux airs de Cocteau Twins plus crépusculaire délaissant la paranoïa de côté et « Sophia » même si l’impact émotionnel n’est pas vraiment le même au niveau de l’interprétation pour la guitariste de Russian Baths. La paranoïa, les conséquences d’une société capitaliste mais également la maladie et la mort sont les sujets qui hantent Travis Johnson. C’est d’autant plus notable sur la somptueuse « Heaven Chords » qui est un hommage non dissimulé au regretté David Berman aussi bien au niveau du texte que des accords de guitare à notre héros de Silver Jews ainsi que la production lo-fi prenant de l’ampleur qu’est « Cloud Come Here » ou encore le shoegaze expérimental, cafardeux et très brumeux « Icing » aux rythmiques trépidantes et haletantes rappelant Clinic par moments.

Selon moi, Spirit In The Room n’a pas le même impact émotionnel et puissant d’Unmask Whoever car Activity privilégie beaucoup plus les textures que le songwriting et la montée en puissance. J’en ressors par exemple déçu de « Ect Frag » bâti autour de samples obscurs ressemblant à une expérimentation d’une chanson folk des années 1960 censé mettre en valeur les premières prouesses vocales de Bri DiGioia mais il en résulte une interlude, voire une démo inachevée. J’attendais à quelque chose de percutant et d’intense à l’image de « The Heartbeats » ou de « Earth Angel » mais aussi aux acrobaties rythmiques de Steven Levine. Heureusement tout ceci est compensé par le songwriting imagé et poignant de Travis Johnson qui émeut sur « I Saw His Eyes » qui traite de la maladie de son père avec ces rares moments électriques rappelant la très rock « Violent and Vivisect » ou encore la troublante conclusion nommée « Susan Medical City » où il clame un vibrant: « Mother, come back to me ». Un des rares moments de vulnérabilité sans jamais tomber dans le pathos comme on n’a jamais entendu chez le superquatuor de Brooklyn.

Si Unmask Whoever aura été la prévision d’un monde en perdition, Spirit In The Room est donc les conséquences de ces pertes qui continuent de nous affecter. Moins défiant et froid que son grand frère, ce second disque toujours aussi expérimental en brouillant les pistes entre trip-hop expérimental, indie rock noisy, slowcore, shoegaze, post-punk et electronica expérimental où les samples et gadgets électroniques peuvent alterner avec la formule guitare/basse/batrerie à la perfection. Le groupe de Brooklyn signe une magnifique œuvre plus viscérale et tourmentée mais étrangement humaine signifiant cette métaphore d’être hanté par ces esprits du passé (bienveillants et/ou malveillants) qui les tourmentent. Espérons un troisième disque placé sous le signe de l’apaisement et de la rédemption avec une plus grande prise de risque si possible.

Note: 8.5/10