Il y a quinze années de cela, une tornade venue de New-York avait englouti la scène indie mondiale grâce à leur méga-tube « A-Punk ». Je parle bien évidemment de Vampire Weekend qui a réussi à s’imposer avec un son nouveau et avec une discographie remarquable dont leur fabuleux chef-d’œuvre nommé Modern Vampires Of The City en 2013. Et même si leur prédécesseur Fathers Of The Bride paru en 2019 fut légèrement en-deça (chroniqué ici), le retour du trio new-yorkais est plus que bienvenu. Allons savoir ce qu’ils nous obt réservé avec leur nouvel album tant attendu du nom d’Only God Was Above Us.
Ezra Koenig, fabuleux cerveau du groupe, avait commencé l’écriture de ce cinquième album peu après la sortie de Fathers Of The Bride. Conçu comme étant une sortie solo, l’ultime perfectionniste a su contempler un monde en perdition suite aux événements qui ont bouleversé notre planète et notre société actuelle. En ce sens, Only God Was Above Us est une épopée musicale nous emmenant dans la Big Apple du 20ème siècle tandis qu’Ezra Koenig ainsi que ses deux compères Chris Baio et Christ Tomson jettent un regard lucide et brut sur notre époque et ce dès le départ avec « Ice Cream Piano » aussi bien chaotique qu’harmonieux. Et quoi de mieux que de démarrer ce sixième voyage par un « Fuck the world » pour annoncer la couleur, une couleur bien grisâtre à l’image de notre monde (« We’re all the sons and daughters of vampires who drained the old world’s necks », chante-t-il) ?
Tout de suite après, Vampire Weekend poursuit cette introspection à travers des arrangements musicaux des plus aventureux comme « Classical » avec un riff des plus catchy et ces rythmiques trip-hop percutantes tandis que nos protagonistes jettent un regard désabusé sur notre ère contemporaine regrettant que l’histoire se répète ou bien encore la semi-ballade intimiste et romantique « Capricorn » prenant de l’ampleur au fur et à mesure. Jettant un regard lucide sur le pouvoir qui banalise le manque d’humanité ou qui accorde des privilèges non méritées aux générations futures, Only God Was Above Us est aussi notable pour cette exploration musicale de haute volée où on les voit se rapprocher aussi bien des ambiances dignes de Contra que de Modern Vampires Of The City. « Connect », par exemple, est notable pour son riff de piano infectieux et ses martèlements de batterie haletants ayant de quoi rappeler leur second disque tout comme « Prep School Gangsters » rappelle quelque peu aussi bien le style baroque de « Taxi Cab » que le fameux « My Best Friend’s Girl » de The Cars avec la participation plus que remarquée de Dev Hynes à la batterie prouvant que le trio n’a rien perdu de son inspiration. On pensera également au Vampire Weekend des débuts avec notamment le rythmé « Gen-X Cops » aux guitares stridentes rappelant la fougue de « Diane Young » ou de « Cousins » où Ezra Koenig joue une fois de plus sur la lucidité (“It’s by design and consequentially, each generation makes its own apology”, chante-t-il) ainsi que le riff afro et les effets vocaux surprenants de « Pravda » où la nostalgie brille de mille feux (« I know what lies beneath Manhattan »).
Only God Above Us est un document audiovisuel sur l’héritage et la dissonance générationnelle parfaitement illustré de bout en bout. En convoquant les influences du passé, présent et du futur de Vampire Weekend notamment sur « The Surfer » riche en reverbs et en cuivres sans oublier la patte si remarquable de Rostam Batmanglij, ex-membre du groupe qui n’est pas bien loin de ses premiers camarades, ou bien encore sur la ballade nostalgique « Mary Boone » avec cette chorale d’enfants inquiétante et ce sample raffiné de Soul II Soul qui mute vers un paysage sonore des plus hypnotiques. Car après avoir jeté un regard détaché sur le New-York d’antan ainsi sur les privilèges, l’appropriation et l’identité, l’espoir reste une force motrice résonnant en chacun d’entre nous comme l’atteste la splendide conclusion nommée « Hope » où la musique baroque et triomphante, sans oublier ce magistral break instrumental, contraste quelque peu au discours plus solennel pour ne pas dire fataliste (« The prophet said we’d disappear, the prophet’s gone but we’re still here/His prophecy was insincere »). Les aspects théologiques, sociopolitiques et spirituels sont balayés du revers de la main avec malgré tout cette lueur d’espoir qui résonne à travers ces « I hope you let it go » à chaque fin de couplet avant d’être répété comme un mantra indéfiniment.
Tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir, c’est cette citation qui résonne lorsque j’écoute Only God Above Us. Vampire Weekend a réussi à puiser son inspiration auprès de l’esthétique new-yorkaise du 20ème siècle pour répondre aux différentes problématiques de nos jours sans apporter une once d’hostilité, d’ironie mais avec une pointe d’objectivité qui fait mouche. Sans vouloir être une suite logique de Modern Vampires Of The City, ce cinquième album du trio new-yorkais se rapproche, selon moi, du niveau de Contra mais avec cette hétérogénéité musicale (indie rock arty, pop baroque, noise-pop, surf-pop, pop psychédélique…) où les arrangements sont une fois de plus poussés au paroxysme avec cet objectif de tout détruire pour reconstruire afin d’établir un lien générationnel beaucoup plus harmonieux que jamais.
Note: 9.5/10