Stereolab. Plus qu’un groupe, une institution. Une légende, une influence. Tout simplement le groupe préféré de ton groupe préféré, la référence ultime pour Pearl & The Oysters, Aquaserge, Biche, Alexander von Mehren, Laure Briard, Grand Veymont, Kit Sebstian, Dorian Pimpernel et j’en passe. Pourquoi cette introduction digne d’une bande-annonce d’un reboot d’un film US ? Parce que je pense que vous êtes tous au courant que le légendaire groupe franco-britannique revient en chair et en os après quinze années de silence radio.
Cette année, Stereolab fête ses 35 années d’existence et pour celles et ceux qui s’en souviennent, le légendaire groupe s’était reformé en 2019, soit 9 ans après leur dernier album en date du nom de Not Music. Seulement voilà, la pandémie a éclaté et il a fallu attendre l’année 2022 pour que Laetitia Sadier et Tim Gane, qui se sont émancipés dans leurs projets annexes (Laetitia Sadier Source Ensemble, Cavern Of Anti-Matter…), puissent remonter sur scène et une tournée a eu lieu. Je pense que vous vous souvenez de leur venue à la regrettée Gaîté Lyrique en octobre 2022 qui fut bien légendaire ma foi suite à la parution de leurs compilations Switch On, Vol. 4 et 5. Tout le monde pensait que c’était une réunion juste comme ça, mis à part la récente réédition de toute leur discographie en début d’année. Mais personne ne savait que le groupe préparait un nouvel album en secret. Et le voici en chair et os qui s’intitule Instant Holograms On Metal Film.
Et oui, ça faisait donc quinze ans que Stereolab n’avait pas sorti de disques, suite à leur dernier album nommé Not Music. La question est de savoir si la magie du légendaire formation allait persister toujours autant lors de l’écoute d’Instant Holograms On Metal Film. Après une courte introduction du nom de « Mystical Plosives » aux blips épileptiques, The Groop sort l’artillerie lourde avec la radieuse « Aerial Troubles » où on retrouve ce qui a fait leur renommée (« The numbing is not working anymore », chante-t-elle) avec des influences dignes de Monade et qui se conclut sur les fameux blips de « Mystical Plosives ». Et je ne dis pas ça parce que Marie Merlet (Monade, Iko Cherie, Zooey…) est créditée aux chœurs, non loin de là, même si elle semble remplir le vide qu’a laissé feu Mary Hansen. Mais toujours est-il que la machine est en marche avec les changements de rythme qui auront fait leur sel, à savoir l’enjoué « Melodie Is A Wound » aux synthés rétrofuturistes où les arrangements sont encore une fois mis en avant (vibraphone, nappes analogiques digne des années 1970, guitares carillonnantes en ligne de mire) tout comme les rythmiques bien précises prenant de l’ampleur allant des influences baroques et ensoleillés dignes de Beach Boys muant vers un jam instrumental presque acid jazz aussi bien spatial qu’électrique. On pourra dire de même pour l’onirique « Immortal Hands » mené au marimba sorti tout droit des sessions de Dots & Loops débutant sur des influences lounge et doucement jazzy si caractéristiques du Groop (avec la participation de Ben Lamar Gay au cor) avant de se muer vers des influences plus discoïdes un peu à la « Contronatura », prouvant qu’ils savent non seulement faire monter la tension afin de la sortir mais aussi l’amplifier à bon escient.
Lorsque l’on plonge dans l’univers Stereolab, il faut s’attendre à de nombreuses choses. Vacillant entre science-fiction marxiste, épopées rétrofuturistes et easy-listening à la fois mutante et exotique, le tandem Sadier/Gane ainsi que les participations bien remarquées de Cooper Crain et Rob Frye de Bitchin Bajas mais également de Ric Elsworth, Holger Zapf de Cavern Of Anti-Matter bordent leurs compositions comme des énigmes sonores où tout s’insère doucement, notamment les différentes époques du Groop. C’est notamment le cas des somptueux « Flashes From Everywhere » et « Transmuted Matter » aux syncopations dignes de Tortoise (“Fully human, fully divine, entwined/Through our bodies, through our senses”, chante-t-elle) contrastant à la pop rétro futuriste de « Colour Television » avec cette flûte enchanteresse qui mène la danse, des rythmes motorik du jazzy et divin « Vermona F Transistor » qui convie la britanno-australienne Molly Hansen Read aux chœurs qui est la nièce de la regrettée Mary Hansen (une touche douce-amère de leur part) et de l’instrumental bien électrique et exaltant qu’est « Electrified Teenybop! » rappelant les tout débuts où le Moog remplace les guitares viscérales avec ce côté labyrinthique digne de Cavern Of Anti-Matter en prime. Une chose est sûre, c’est que leur recette musicale fait toujours autant effet même sans véritable surprise, notamment sur le langoureux « Le Cœur et la Force » soutenu par les chœurs de Xavi Munoz (basse) et de Joe Watson (claviers) contrastant avec le plus tendu « Esemplastic Creeping Eruption » où le motif de clavier somptueux côtoie des riffs électriques avec cette rythmique rappelant quelque peu « Motoroller Scalatron » avant de nous emporter avec ce coda notable pour son groove infectieux qui saura nous emporter.
Tous les ingrédients sont donc réunis et étrangement, il sera légèrement décevant pour les fans avertis, y compris moi, qui sont à la recherche de nouveauté. Me concernant, je m’attendais à ce que Stereolab nous secoue un peu à travers des détours kraut ou des chutes de post-rock bruitistes. Et aussi un peu plus d’influences bossa nova et d’exotica aussi. Mais quoi qu’il en soit, le discours marxiste et anticapitaliste du Groop reste toujours aussi pertinent en 2025 (voire même en 2024 avec l’album solo de Laetitia Sadier d’ailleurs), notamment sur le clip de « Aerial Troubles » où ils utiliseront l’intelligence artificielle pour mieux la dénoncer. Les textes sociopolitiques frappent toujours aussi fort, depuis que leur tube « Ping Pong » paru trois décennies plus tôt qui avait atteint le Top 40 ou encore « French Disko » qui est leur hymne de résistance à la perfection. On retrouve ainsi des sentences qui rentrent facilement dans la tête sur « Melodie Is A Wound » (“So long, public’s right to know the truth/Gagged, muzzled by the powerful […] Flawed, the extradition request/Blown, the freedom of conscience”), plus résistante sur « Vermona F Transistor » (“I’m the creator of this reality, not the joker who pretends a god to be”) et sur « Aerial Troubles » où ce manifesto qu’est « Greed is an unfillable hole » résonne encore plus pendant le second mandat de Tr*mp. En cette période bien incertaine où les génocides ont lieu où l’on assiste de façon impuissante, Stereolab ajoutera tout de même du baume au cœur notamment sur la première partie de « If You Remember I Forgot How To Dream » qui aurait parfaitement trouvé sa place sur l’album Chemical Chords avec ces influences yé-yé (“J’appartiens à la Terre, je dis non à la guerre”) avant que la seconde partie plus cotonneuse où il est question de « rhizomic maze », théorie que des philosophes tels que Gilles Deleuze et Félix Guattari ont utilisé, afin de mieux nous réconforter dans un monde en perdition.
Et c’est ainsi que s’achève ce Instant Holograms On Metal Film qui saura répondre aux attentes de plus d’un. Mais il faut se rendre à l’évidence: oui, le son de Stereolab reste toujours hors temps car peu importe si les sonorités peuvent être sortis de l’ère des slogans sortis tout droit de l’ORTF ou du futur, il saura nous interpeller. Mais en revanche, le légendaire groupe a préféré miser sur l’élégance et la tranquillité plutôt que des ambitions avant-gardistes, krautrock et exotica qui auront longtemps fait leur renommée et dont j’aurais aimé entendre dans ce genre de disque. Pour moi, c’est partiellement dû à la totale absence de Sean O’Hagan de The High Llamas qui avait cette patte spéciale sur presque tous les albums de Stereolab. Au final, ils ont voulu la jouer safe et il aurait pu bien rappeler le Stereolab du début des années 2000. Quoi qu’il en soit, l’interprétation élégante et monocorde de Laetitia Sadier reste intemporelle tandis que les nombreuses influences qui en découlent (easy-listening, pop psychédélique, jazz, yé-yé, lounge, funk…) restent avant tout leurs fondamentaux pouvant nous rappeler qu’ils n’ont rien perdu de leur sens du groove. Il en reste un come-back aussi bien futuriste que vintage moins audacieux certes mais toujours aussi marquant avec des messages engagés plus pertinents que jamais.
Note: 8/10